Ma première rencontre avec Yankee Hotel Foxtrot remonte à 2002. Elu disque du mois dans le Rock & Folk du mois de mai, j'avais été surpris qu'un groupe ne faisant pas parti du revival Rock du début des années 2000 puisse à ce point enthousiasmer la presse Rock. Tenté, j'avais emprunté le disque mais l'écoute ne m'avait pas emballé, l'album paraissait blanc, sans relief. Il faut dire qu'à l'époque j'avais plutôt les oreilles à autre chose, ça sonnait trop propret. J'étais passé à autre chose en me disant que l'éloge de Rock & Folk était quelque peu surfait, même si la chronique se terminait par un intriguant "Qui saura l'entendre ?".
Et puis il y a quelques mois j'ai retenté l'expérience Wilco avec Summerteeth, album paru 3 ans avant Yankee Hotel Foxtrot. Bénéficiant de bonnes critiques et paraissant plus facile d'accès, je l'ai écouté en boucle en me disant que c'était un très bon angle d'attaque pour ce groupe vénéré par tous les fans d'indie pop. Contrairement à ce que j'attendais, j'ai été frappé par la façon très directe d'entrer dans l'univers musical du groupe. Les mélodies étaient dorées et élégantes, les arrangements précieux mais pas trop sucrés. Manquait juste de la cohérence. J'ai derechef ressorti Yankee Hotel Foxtrot et tout m'a semblé évident. Et cohérent. Et magnifique. Si cette musique est blanche, c'est le blanc d'Ok Computer, le blanc sur blanc de Malevitch, jouant sur des contrastes d'une incroyable subtilité. Dès les premières secondes la différence avec Summerteeth saute aux yeux, la production est riche, le son est plus recherché, la rythmique est syncopée. Car le premier titre est jouissivement maladif, Jeff Tweedy chante qu'il "essaie juste de nous briser le coeur" avec une voix d'"aquarium drinker", engourdie, saoule, mais bizarrement sympatique. Suivent "Kamera", pop, limpide, et "Radio Cure" qui, même si elle met du temps à partir, réserve un refrain d'une rare puissance émotionnelle lorsque Tweedy se tue la voix sur ses "Oh Distance has no way making love understandable". Trois premiers titres qui mettent minables tous les poursuivants de l'indie pop du continent américain, Flaming Lips en tête. War On War continue de prouver l'excellence de l'album, sans faute de goût ou presque (l'énervant effet wahwah nouveau millénaire déjà entendu sur des groupes bien moins inventifs). Puis vient le chef d'oeuvre de l'album, "Jesus, Etc.". Ce titre est d'une délicatesse extrême avec ses cordes, la mélodie est à tomber, on croirait entendre un classique sans âge, un Neil Young échappé du mythique On The Beach repris par des Pavement pour une fois appliqués. Ashes of American Flags est le premier temps faible, mais permet de reprendre sa respiration avant le sautillant Heavy Metal Drummer où Tweedy se moque gentillement des groupes de métal 80s avant de déclarer : "I miss the innocence I've Known, playing KISS covers, beautiful and stoned". On s'achemine doucement vers la fin de l'album avec deux titres conventionnels qui auraient pu prendre place sur Summerteeth, puis deux autres plus expérimentaux, planants, parfaits pour atterrir en douceur.
Ce disque m'est devenu essentiel en quelques mois seulement, j'y reviens fréquemment comme dans un endroit où je me sens bien. S'il devait exister un frère jumeau américain à Ok Computer, nul doute que cet album ferait figure de prétendant.
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